Lieux et Milieux : Faire Recherche En Quartiers Populaires –  Thomas Arnera 

Dessin - Laurène Masoni dans L'ENTRE 

Les quelques lignes de journal présentées ici ont été écrites lors d’une semaine de « Reflet » : semaine de travail réunissant l’équipe de l’accompagnement artistique Un Futur Retrouvé (UFR) à Lyon donnant lieu à différentes formes artistiques non préméditées, indisciplinées au sein du quartier Mermoz. Cette semaine a aussi permis d’accueillir plus spécifiquement d’autres expériences de recherches-actions dans le cadre des résidences «Faire recherche en quartiers populaires ». Ce journal, qui s’écrit de manière intra-personnelle, mais toujours dans la perspective d’un éventuel partage, retrace ainsi cette semaine de co-élaboration autour d’une thématique : Lieux et Milieux. Il traduit de façon située et non exhaustive la façon dont cette thématique est devenue le prisme pour ne pas dire le calque des différentes expériences théâtrales, sociologiques, urbanistiques, filmiques ou encore publiques et intimes vécues pendant la semaine. Initialement sans aucune notes de bas de page, du fait d’un partage très restreint, l’ajout de ces dernières s’apparente à un sous-texte qui permet de mieux comprendre le contenu du journal sans avoir pris part aux moments dont il fait trace.

Lundi 14 septembre 2020

Mots-Clefs : UFR – Mermoz – Reflet – Lieux – Milieux – Garages – Gaston Cotte – Ecriture – Théâtre.

Ce matin, nous commençons par un moment de discussion autour de la thématique choisie pour travailler cette semaine : Lieux et Milieux. D’abord, nous écoutons Mélanie nous faire un point sur ce qui est ressorti de leur Pré-Reflet de la semaine précédente. L'idée est d'habiller le pignon de la rue pour faire lieu et milieu en proposant et suggérant des usages. Lisa et Mélanie1 vont commencer à peindre. Lorsque je descends à midi, Lisa, pinceau à la main, est en train de peindre ce qui sera “une cible”. D'autres choses sont à venir et viendront s'ajouter sur ces différents jours de Reflet2.

Lieux et milieux, l'occasion pour moi de reparler du cheminement et de la manière dont la thématique a émergé3. De faire un tour de table des envies, des façons dont chacune et chacun entend s'emparer de la thématique quelles qu’en soient nos représentations et les constructions que nous y mettons.

Nous enchaînons sur un atelier, des exercices de théâtre (trainings). D'abord, se connecter à soi par un jeu de position, de respiration : On « déverrouille » les genoux, on desserre la mâchoire et l'on met les oreilles au niveau des épaules, l'extérieur des pieds parallèles. Le tout oblige à des micros mouvements peu naturels, mais qui permettent de se sentir et de se connecter à soi. Cela permet également de se connecter à l'autre lorsque Cécile nous propose de former des binômes. Elle nous invite ensuite à mettre une main sur notre ventre à plat. Chacun des partenaires va venir mettre le dos de sa main libre contre le dos de la main de son partenaire posée sur le ventre. Il me semble qu’il s’agit ici de se mettre en relation par les corps en pensant la distance, notamment depuis le corps de l’autre.

Ensuite, nous faisons un “jeu de mots”, de noms communs, au sein duquel nous partons de “lieux qui nous habitent”. La règle est simple, chacun·e prononce tour à tour un nom commun, on se laisse porter par le nom commun énoncé par son binôme en en proposant un et ainsi de suite. Que des noms communs et pas de réponses trop faciles (talon ---> Aiguille... Refusé!!) 4.

Je pars pour ma petite enquête autour des garages5. Je croise Joël (gardien d’immeuble) qui patrouille dans la rue. Je lui explique mon entreprise et celui-ci me dit que les garages à Mermoz “c'est la caverne d'Alibaba” d'un ton que je sens à la fois ironique et amusé. Il me dit avoir vu un garage ouvert dans une rue à côté, juste après la chaufferie, je commence par là. Je retrouve un homme qui fume la chicha et qui discute avec une personne qui semble être un gardien. Je ne parviens pas à le filmer lui, mais il m'autorise à filmer la chicha en exercice.

Ce sera ma seule et unique prise (vidéo) du matin. Le reste se passe dans l'informel, devant différents garages. Ce que je veux montrer est déjà su : les garages sont des greniers, des salons, des placards, des intimités, des secrets, des lieux. Ils habitent autant qu'ils sont habités. Je ne me formalise pas... J'ai juste besoin d'image, et encore. Pourquoi est-ce que je veux ces images ? Je pense à cela en marchant : j'aimerais que ces personnes viennent dans le garage que nous occupons, qu’elles puissent mettre des mots sur cette vie entre les garages, ce moment où je me fais menacer par une personne qui me soupçonne d'être de la police, et que celle qui vient de m'offrir un café préparé dans le garage d’à côté la rassure en lui expliquant que “eux aussi ils bossent dans un garage”. Il n'est qu'à moitié rassuré et me met en garde. Mon intention est peut-être trop ambitieuse. J'aimerais que cette vie-là ne se perde pas, mais qui suis-je pour vouloir cela et agir dans ce sens ? Est-ce que je fantasme trop ? Est-ce que cela est hypocrite ?

Cette réflexion autour des garages me donne envie d'aller voir au nord6. Ma question c'est : comment parlent les garages à Mermoz nord ? Ils me parlent moins qu’au sud, car ils sont moins nombreux et que je n’y ai pas directement accès. La rénovation urbaine les a enterrés. Ils ne font pas lieux depuis l'espace public et encore moins milieux. Les portes de garage, l'ouverture du garage et sa fermeture, l'activité qui y a lieu se fait à la lumière des néons, au son des pneus qui crissent dans les étages souterrains et via des boutons qui actionnent parfois à distance la porte qui donne accès aux souterrains. Y a-t-il des personnes qui fument la chicha dans ces autres garages ? Sous terre ?

Je termine mon tour en interrogeant un jeune homme au sud qui fait sa rentrée dans une école non loin de là. Il étudie dans la domotique. Plus tard, je me dis qu'il faudrait filmer des vues de garage, cela permet d'éviter de filmer les intérieurs, qui sont autant d’intimités, et de montrer ce qu'ils voient... Les murs voient aussi ce qu'il y a à l'intérieur, il manquera toujours quelque chose.

L'après-midi reprend par un exercice de paroles simultanées, que nous avions déjà réalisé lors du précédent Reflet. Le soir, Léa, Claire et Judith reprennent cet exercice en public, je trouve cela vraiment bien, même si une grosse partie du public n'est déjà plus très réceptive. J'apprécie ce moment, la simplicité de l'exercice, mais ce qu'il arrive à “rendre” en fait quelque chose d'intrigant, de curieux et tout simplement beau à regarder et écouter.

Léonore nous partage son texte que je trouve vraiment fort aussi. J'apprécie de voir Léonore écrire, nous raconter sa déambulation. En l'écoutant, je pense à la phrase de Pascal : un lieu se fabrique aussi avec des mots. Dans le cas de Léonore, elle dessine un lieu, voire plusieurs, avec des mots, des sensations, son corps devient le lieu et le milieu d'émotions multiples comme un quartier dans lequel circulent histoires joyeuses, rire et colère. L'expérience de ses sens et sentiments à Mermoz aujourd'hui. J'apprécie ce geste d'écriture.

Toute la journée durant, je m'interroge sur la responsabilité que j'ai avec cette thématique. J'ai cette demi-sensation qu'elle prend sans prendre. Je ressens un non-emballement et pourtant chacun et chacune fait quelque chose dans son petit coin et en fin de journée, comme le souligne Cécile, nous faisons ensemble. Intérieurement en fin de journée, sans être capable de me libérer de mon humeur du jour, je respire un peu. Je me dis que la thématique fonctionne grâce au travail de chacun·e, à l'abnégation de Claire à trouver un espace de jeu avec un public. J'éprouve une fierté à pourvoir travailler avec chacun et chacune, aussi à faire partie de cette équipe et de voir comment celle-ci répond présente sur une thématique qui m'importe personnellement.

Ce faisant, nous nous retrouvons à jouer au milieu des gars, des hommes qui habitent le trottoir de la rue Cotte. Cette fois-ci, c'est nous qui nous installons avec les cubes7 dans leur espace. Le moment est intéressant, mais difficile à « jauger » au moment où j'écris ces lignes. Le public ne s'est pas laissé capturer longtemps, mais il s'est passé quelque chose dans la rue Cotte au moment de jouer. Le public était aussi aux fenêtres et a pu participer aussi depuis cet endroit. Les personnes du public réagissent parfois par des rires, mais aussi des énervements à l'égard de ce que nos personnages relaient comme parole et comme vécus. La part des choses n'est pas toujours facile à faire dans ces situations où l'on ne mesure pas forcément qui parle selon son degré d'attention.

De mon côté, j'utilise mon enquête du garage pour improviser une saynète. Je joue « le dernier garage de Mermoz Sud », en référence à mon tour du matin. L'idée est plutôt bonne (je crois) et produit quelque chose, aussi dans l’interaction avec le public que nous constituons avec les gars. J'utilise mon téléphone pour mettre de la musique et produire une ambiance familière pour que le garage soit aussi un intérieur. Je ne sais pas si cela fonctionne, mais la convocation du Rap par Maxime, dans son impro sur la fabrique des bulles, finit de me convaincre de commencer comme cela. En fin de compte, je finis par tourner en rond et, comme le dit assez justement Claire, “je remets une, voire plusieurs, pièces de trop”, au lieu de m'arrêter quand l'intention première est réalisée. Note pour plus tard : rester simple, faire court.

Cette sensation de ne pas arriver à faire simple et court me rappelle celle des marches8. Cette journée m'a dans l’ensemble « retroprojeté » aux marches Turpaux dans la Drôme, et ce de manière assez agréable. Je trouve cela intéressant d'en revenir à ce format-là alors que le projet entame ce qui pourrait s'apparenter à une dernière phase. Il faut que je me souvienne de mes apprentissages de l'époque donc.

In fine, cette journée fait un peu plus lieu selon moi. J'apprécie ce qu'engage les Pourquoi Pas !? (PP) et ce que nous engageons dans la rue Cotte. Nous travaillons à faire milieu commun en sachant qu'un fossé nous sépare y compris culturellement, au sens de ce qui nous fait vibrer, rire, ce qui capte notre attention, au sens de nos trajectoires, de nos milieux sociaux d'origine, mais aussi présents. In fine, faire lieu c'est aussi faire milieu comme en font l'hypothèse les PP et avec eux Un Futur Retrouvé.

Mardi 15 septembre 2020

Mots-clefs : Enquête – Garage – Lieux – Trois écologies – Milieux - Intermédiation

Deuxième journée autour des lieux et milieux. Nous voilà aussi autour de la table. Nous commençons par une discussion visant à attendre le moment où nous serons toutes et tous réuni·e·s pour commencer. Commencer quoi ? Le training ? Commencer l'enquête, oui, mais pas par le training comme cela était prévu, plutôt en échangeant. La discussion part de choses très générales Lieux-milieux ; Milieux protégés ; parc nationaux et naturels. La réflexion de Maxime, sur le fait que les milieux protégés “dédouanent” de protéger ce qui n'est pas protégé, nous emmène sur la question des tiers-paysages, des frontières et, dans ma tête, je chemine sur la notion de lisière, alors que j'ai justement à ma droite le numéro 2 d'Agencements où Nicolas Sidoroff9 nous parle de lisières et de noyaux à lisière, de case, de catégorie, de frontières entre ces disciplines et inversement de ce qu'il y a de l'un·e chez l'autre en prenant l'exemple de la danse et de la musique : danser, c'est émettre des sons et jouer de la musique c'est mettre son corps en mouvement.

Lieux :Centre social et MJC deviendront pôle socio-culturel dans le futur10... et, à côté, fleurissent les tiers-lieux, les friches, les occupations temporaires... les appellations qui décentrent, dépolarisent au moins dans le discours.

Avec le pôle il y a toujours cette idée d'attractivité dans ma tête : le pôle se doit d'être un milieu qui attire et, donc, attirant. Les lieux, qu'adviendra-t-il des lieux ? À Mermoz, semble-t-il, culture et social se regardent du nord au sud. Cette image, que relaie une personne interrogée hier, me renvoie à celle du “fossé” entre des milieux sociaux et des milieux culturels que j'évoque dans mon journal de la veille. Faire lieu commun et faire milieu commun est un sacré défi. Le fossé, mot que je rentre dans mon navigateur internet pour être sûr de l'orthographe, me renvoie dans l'imagerie à quelque chose qui s'apparente au « Tiers-Paysage »11. Il est bel et bien creusé par les humains, à moins qu'il se forme naturellement par effet d'aménagement de part et d'autre. Mais quelque chose reprend ses droits en milieu. Quelque chose d’inconfortable se produit dans le fossé, on y marche difficilement, on s’y allonge peut-être plus facilement (à condition qu’il n‘y ait pas de ronces), il y a du “point de voir”12 dans le fossé, il est complexe et plein de non-dits. On peut s'y cacher et s'y cachent des choses. La situation d'hier, celle où nous faisons théâtre sur le trottoir, opère dans le fossé dans une mise en inconfort mutuelle qui génère possiblement du déplacement, du décalage.

Il y a aussi les bulles de Maxime13. Je ne me retrouve pas pleinement dans cette image de la bulle, car je la perçois négativement depuis l'expérience que Louis partage de sa déambulation d'hier. La sphère privée, celle de l'intime, me semble explosée par les big data et bien d'autres choses, les renseignements que l'on nous demande et que l'on donne bon gré mal gré pour exister sur les réseaux ou tout simplement pour avoir des droits. Parce que nous sommes là, il faudrait que les bulles explosent ? Les bulles sont sans cesse explosées. Je ne crois pas vouloir en faire exploser davantage, mais plutôt être invité à y entrer. Mais ce sont des images et je pense que nous sommes d'accord. Ses bulles me font penser à mes garages. Je crois ainsi comprendre Louis, parce que je ressens une forme de violence à être là. Être là me fait violence, car ce que je représente me gêne et m'est régulièrement rappelé d'une manière ou d'une autre. Je sens aussi que je porte cette gêne sur moi et qu'elle me dessert. D'une autre façon, j'ai envie d'y être et j'y suis bien, aussi parce que cette violence-là me rend vivant, beaucoup plus que celle générée par la presqu'île14 et sa folie consumériste par exemple, qui tue la petite ville qui vit en moi. Il faut peut-être pouvoir s'affranchir de ce que je suis ou crois être, être autre, en être capable ?

Cette bulle, j'en ai besoin aussi, aujourd'hui et sur ce « Reflet ». Je ressens de plus en plus le besoin de me préserver du groupe et de préserver le groupe. J'ai l'impression de prendre de la place avec ma pratique, mais aussi avec ma personnalité. Donc, le besoin de moins me livrer et de moins m'exposer. Je me rends compte que depuis le début de l’action, je n'ai quasiment raté aucune journée, aucune réunion, peut-être un co-tech (comité technique)15. Avec Claire, nous partons souvent les derniers. Puis il y a le journal. Je ressens le besoin d'avoir mon intimité à nouveau, de me fabriquer une bulle, d'être capable de me détacher de l'action à même l'action. Cette réflexion est aussi en lien avec celle de la recherche-action. Être acteur de sa recherche c'est aussi accepter de ne pas être de partout et, donc, de rompre avec cette fiction de l'omniscience. Croire qu'on comprend l'action parce qu'on la regarde du dehors, et qu'on a suffisamment de distance pour être à même de la circonscrire par la connaissance : fiction 1. Croire que l'on comprend tout parce qu'on est dans l'action et que ce qui échappe à celui qui est en dehors n'échappera pas à celui qui est à l'intérieur : fiction 2. Recherche et action mixent ces deux fictions et produisent une tension chez moi : je ne peux rien rater ! Je ne dois rien rater ! Aujourd'hui j'en suis à : je dois accepter de rater et accepter que je rate, car c'est inévitable. Il est donc souhaitable de pouvoir s’autoriser à rater et d’envisager ces moments d’absence, la manière dont ils font recherche. L’absence rend présent ou est présente, elle produit nécessairement quelque chose.

Cette réflexion me conduit sur le terrain des écologies de leur imbrication. L'intime me place au niveau du mental, mais la journée d'aujourd'hui parle aussi d'écologie sociale et notamment de nos différences. Avec Cécile, nous partons enquêter en binôme avec deux approches différentes. Nous commençons par nous balader dans Mermoz, à la recherche d'un garage ouvert. Nous traversons le sud du quartier de la rue Cotte jusqu'à la Mosquée El Houda, en passant par Morel, Latarjet puis le mail Narvik. Nous essuyons un refus aimable d'un duo d'hommes qui semble décharger des aliments à stocker, en lien avec un commerce alimentaire. Plus loin, nous rencontrons Meddy dans son garage qui accepte de nous partager un temps qu'il libère pour nous.

Je suis en contre-plongée, assis sur le gravier, parce que je pensais maladroitement pouvoir filmer. Quiproquo ! Je ne filme pas, mais j'enregistre quand même. Je me retrouve en spectateur d'une interview de Cécile. Cécile fonctionne avec son style dans lequel je ne me retrouve pas du tout. Mais c'est sa façon de faire, je la respecte et l'admire sous certains aspects. Puis, je me fais surprendre et je vis un moment très beau et une nouvelle fois poétique.

Mes moments avec Cécile prennent souvent cette couleur et sont très inspirants, ils se partagent entre une forme de gêne, car je n'oserai pas faire ce qu'elle fait, et une admiration dans cette capacité à transformer et à décaler le moment. Après un moment de discussion très riche, elle dégaine de façon inattendue la liste de mots préparés la veille lors de l’un de nos exercices théâtraux. Toujours au sol à les regarder sur le banc, je vois se réaliser sans préméditation, et à peu de choses près, l'exercice que nous avons réalisé la veille entre nous à l'appartement et qui prend ici la forme d’un jeu. Des mots s'échangent :

enveloppe → la poste, puis envole.

Fenêtre → regarder (et dans ma tête regard) et ainsi de suite.

Nous sommes aussi rejoints par son fils. L'échange prend fin quelques minutes après sur une discussion sur la vie à Mermoz. Ce temps d'échange est très apaisant, assis là, dans les inter-barres16 de Challier où, comme le soulignait Claire hier, nous passons peu de temps.

L'enquête sur les garages produit cet échange, qui ne donne finalement pas grand-chose sur les garages, si ce n'est qu'il en a un usage assez classique et que nous nous accordons avec Cécile sur le fait que ces garages abritent quelques secrets qui ne nous seront pas dévoilés. Cette histoire de secret me semble justement parler d'intimes, de bulles qui se préservent. C'est bien comme cela. Un peu comme hier, je me dis que j'en sais suffisamment sur les garages, tout simplement parce que nous en faisons l'usage de deux et que, depuis ses usages, se raconte une singularité parmi d'autres, des usages publics et privés, et au milieu, peut-être, un commun (un quartier, une ville) au travail. J'aime voir des garages ouverts et cela me suffit. C'était un beau motif mais ; une nouvelle fois, faire une enquête qui viserait à enfermer les usages dans des mots ne m'intéresse pas. Faire exploser les bulles non plus.

L'impression, que nous avons avec Cécile, sur les garages et les secrets qu’ils protègent, est confirmée quelques mètres plus loin avec la discussion que nous tenons, de trottoir à fenêtre, avec Idrisse. Cécile joue l'ingénue, comme elle le dit peu de temps après cette rencontre. Il nous parle des garages, ce qu'il en fait, combien il et combien ils coûtent, ce que d'autres en font, ce qui peut-être dit et ce qu'il ne dira pas. Il nous évoque également, et parce que je l'emmène sur ce terrain, les garages souterrains et les problématiques qu'ils engendrent, notamment en termes de sécurité. Il prend l’exemple de son fils qui habite au nord, au-dessus du supermarché.

La différence de point de vue ou de manières de faire existe aussi sur la façon d'aborder certains sujets. Avec Claire nous ne voyons parfois pas les choses de la même manière et nous le partageons au sens où nous échangeons à ce propos. C’est notamment le cas sur l’organisation du rendez-vous public du jeudi17. Nous partageons un différend. Ce différend me paraît important, car en l'explicitant à deux, nous élaborons un potentiel espace commun où travailler cette question. Jeudi ? Avec qui ? Comment ? Avec quels codes, quels mots, dans quels environnements. Ici, c'est l'écologie sociale entre deux individus certes, mais aussi entre différents groupes, qui émerge. Cette montée en latéralité18, ce travail de montée en latéralité vient toucher à la question de l'écologie environnementale. Est-ce qu'on fait cela dans les murs du centre social ? Dans ceux de labo-cité ? Ou autour du garage ? Quelle météo ? Toutes ces questions, ces écologies s’entremêlent et fabriquent des moments, des manières d’agir.

Mercredi 16 septembre 2020

Mots-Clefs : Culture – social – Intermédiation – Théâtre – Invisibles

Depuis trois jours, j'enchaîne les petites cartes mentales qui ont chaque fois leur propre thème plus ou moins précis. Ces cartes sont aussi des brouillons, elles retracent surtout les territoires de nos discussions du matin, celles qui prennent la place du training du matin. Je me dis qu'il faudrait que j'en fasse un calque entre mes différentes cartographies. Celle de ce matin est un entre-deux, entre un début de carte mentale et de liste d'acteur·rice·s du quartier. Cette liste voit s'aligner noms de personnes, rôles, structures à inviter demain pour la journée ARTEC, mais aussi des personnes présentes hier dans la représentation à laquelle je n'ai pas participé.

Claire prend le temps de me parler des éducateurs de la sauvegarde 69. Ils sont venus à la fin de la représentation hier. J'en suis ravi, il faudrait vraiment qu'on arrive à partager nos réflexions et nos problématiques avec elleux. Je pense à En Rue qui commence à l'initiative d'éducateurs du quartier Saint-Pol, je pense également à cette tension qu'il y a pour les acteurs sociaux à voir des artistes venir animer le quartier et s'en aller, tension qui semble être partagée avec beaucoup d'acteur·rice·s et en premier lieu, les habitué·e·s du quartier. Nous sommes nous aussi en tension avec notre propre présence alors qu’il s'agit de pouvoir aller au-delà, d'arriver à faire milieu commun, là aussi. Alors que j'écris sur nos différends hier, là nous sommes pleinement raccord et c'est une belle perspective de travail.

J’ai à nouveau en tête les lisières de Nicolas Sidoroff et bien sûr les travaux d’Alain Marchand, ce qu'il nomme champ social et culturel et qu'il décrit comme des champs interactifs19. Je pense à Régis et à nos débuts de discussions suite à la proposition manquée de Eric Lopez [Discussion concernant le remplacement d'acteur·rice·s du champ social par des acteur·rice·s du champ culturel dans les quartiers populaires]. Plus tard, alors que je suis sur le balcon du centre social avec Elsa et Safia, je repense à mon histoire de fossé. Ce fossé n'est pas péjoratif bien sûr et, au contraire, il image ce qui pour moi est interactif et se confond du social et du culturel. Je pense à quel point la conception de la culture a été économicisée par une logique de produit culturel, donc de consommation et, donc, marchande depuis le produit, mais aussi la force de travail. Mais avant cette économicisation il y a peut-être encore plus l'idée de culture dominante, cette domination et économicisation culturelle creusent le fossé, et on n'ose peut-être de moins en moins aller se frotter à ce qui y pousse. Il se creuse par ce que ce qui préexiste à toute action culturelle, si elle n'est pas clairement énoncée comme socio-culturelle, c'est le produit, le produit fini qui potentiellement est étranger à des habitudes culturelles. Cette approche est probablement caricaturale.

Cette réflexion me met mal à l'aise, mais j'essaye de comprendre ce qui fait que notre proposition de lundi n'intéresse pas les gars de la rue Cotte ou intéresse peu. Mais aussi de ce qui a pu intéresser ce jour-là, dans ce que nous avons fait, aussi minime l'intérêt puisse-t-il être. Nous produisons des formes qui sont les nôtres et c'est bien normal, c'est ce qui nous anime et nous le faisons sincèrement. Les effets de ce que produit notre action seront à évaluer sur le long terme et probablement depuis des critères qui nous échappent encore.

Elsa (avec qui nous échangeons le matin), pour parler de l'absence de certains publics, n'hésite pas à parler d'habitudes culturelles. Dans notre rapport à Mermoz, au quartier nos pratiques sont bousculées et nous travaillons à bousculer aussi un peu celles des autres, sans forcer.

Le temps avec Elsa et Safia est très intéressant, je ne suis cependant pas suffisamment concentré pour retenir au-delà de ce que je prends en note. Le centre social est une structure de plus de cinquante ans avec son propre millefeuille, et une histoire qui n'est pas celle d'un lieu, mais de tout un mouvement d'action auprès des familles. Elsa parle à plusieurs reprises d'offre de services. C'est important que nous soyons là néanmoins, à l'écoute de ce qui s'y trame, de ce qui s'y fait. Comment ce moment résonne avec nos questionnements sur l'imbrication du social et du culturel ?

Là encore, je suis public de l'interview et j'interviens à la marge. Je regarde Louis mener l'interview plutôt auprès d’Elsa, Safia, plus jeune (en âge et dans la structure), ne prend pas l'initiative de prendre la parole. Nous apprenons aussi que le centre social est une ancienne maison de santé. Que le balcon est le résultat de la fameuse rénovation20 qui rend la démolition du bâtiment impensable pour les membres du conseil citoyen.

La discussion commence par la palissade21 et la frise bleue. Le temps de placer quatre chaises et nous partons sur autre chose. À la fin, et sur le départ de Maxime, je propose que nous revenions sur la ligne bleue, dans l'idée de pouvoir à notre tour répondre à des questions. S'ensuit un moment où je prends la parole et je développe sur la tension autour de notre présence : la question du processus ; de l'expérimentation ; le fait de ne pas vouloir parler à la place de ; de ne pas écrire l'histoire qui n'est pas la nôtre et donc d'écrire seulement notre histoire ; l'importance des ancrages et des lieux ; la possibilité que l'accompagnement se situe dans cette idée de “faire lieu” ; l'importance, malgré tout, de nos pratiques et de pratiquer ici dans Mermoz. Je sens une véritable écoute et j'ai l'impression de me lâcher, je m'excuse à plusieurs reprises de capter la parole. In fine, l'explication autour de la palissade et du sismographe chronologique me donne envie de reprendre la palissade, maintenant qu'il y a un précédent, qu'il y a eu “polémique”, pour reprendre les mots d’Elsa, mais aussi maintenant qu'elle est à nouveau dégagée.

L'après-midi est dédiée à l'écriture de textes en vue de la représentation du soir, je n'ai pas réussi à prendre ce truc du texte sur ce Reflet. Cela me fait hésiter à proposer une forme pour la représentation du soir. J'hésite à poursuivre sur les garages en jouant un personnage qui refuserait d'ouvrir son garage à un inconnu (moi), mais qui en même temps livrerait en colère, mais une colère généreuse et sincère. Un individu masculin, d'une quarantaine d'années, avec un franc parlé. Mais j'ai l'impression que je viendrai encore une fois me ramener à ma condition et à mes représentations comme je l'avais fait lors du précédent Reflet. Je trouve cette attitude de plus en plus limitée chez moi. J'hésite avec quelque chose autour de l'invisibilité, suite aux propos d’Elsa. Cette dernière nous dit dans l'entretien qu'à Mermoz l'invisible n'est jamais valorisé : les réussites scolaires, les groupes autonomes qui n'ont pas besoin des services qu'offre le centre social par exemple. Elle met en avant ce contraste entre minorité visible et majorité invisible. Cela me touche, car elle appuie dessus, c'est là qu'elle évoque aussi les habitudes culturelles. En parallèle, dans mon monologue qui suit l'entretien, j'évoque le droit commun et la nécessité que les QPV (Quartiers Politique de la Ville) ne soient pas sacrifiés en droit commun parce qu'ils sont QPV sinon, cela ne sert à rien d'être QPV22. Je reviens donc sur l'idée de lieu, tout en mesurant ce que cela peut venir contredire en termes de gentrification. L'Enjeu que ce soit un lieu habitant·e·s est d'autant plus important donc.

Cette idée de valoriser l'invisible m'inspire une scène où il ne se passe rien mais les choses se disent, se commentent. Une sorte de théâtre de l'invisible, peut-être hyper positif, à la limite du caricatural. Ce que j'ai dans la tête est encore trop abstrait. Je me laisse gagner par le doute de faire quelque chose de trop hors sol, encore trop dans ma tête. Par ailleurs, le reste de l'équipe lit les textes dans l'appartement pendant que je travaille à mon idée, je les trouve très beaux, j'écoute à moitié d'une oreille, je ne progresse pas sur mon idée. Je me dis que je pourrais laisser le choix au public et tenter une improvisation avec la contrainte que cela soit court. Je ne propose finalement rien et garde mes idées pour le présent journal.`

La représentation a bien lieu elle, devant l'arroseur arrosé23, un public de quelques personnes se constitue au compte-gouttes, dont R qui nous fait le véritable honneur24 de venir nous rejoindre et de participer au moment et aux échanges. Tout cela depuis son scooter un peu en retrait de l'espace en arc de cercle que dessinent les cubes. C'est un plaisir de voir la relation évoluer ainsi, là encore grâce au travail rigoureux d'invitation de Claire. Adja et Sined nous rejoignent enthousiastes ainsi que Safia, Elsa et la directrice du centre social. Le moment de théâtre est court, mais intense, avec des textes très beaux et interprétés simplement. Une réussite à mon sens.

Intérieurement, je suis préoccupé par ARTEC et l'arrivée des amis quelques heures plus tard. Nous partons assez rapidement après cela avec Cécile. Je cuisine rapidement un Dahl, m'offre une parenthèse foot. Quand je reviens, Pascal est dans le salon, la résidence ARTEC commence avec Arsène, Victor et Louis qui nous rejoignent dans la foulée autour de la table jusqu'à tard. Nous parlons, pêche, foot, ARTEC, Mermoz, université....

Jeudi 17 septembre 2020 (Vendredi 18 à 6 heures).

Mots-Clefs : ARTEC – Lieu – Milieu – UFR – Union Urbaine – Films

Je voulais tenir un journal depuis mes notes du jour pour faire en sorte que ce retour sur la journée qui s'est écoulée puisse être le plus proche de ce qui s'est dit et s'est fait hier. Mais hier soir, au moment d'écrire, je me rends compte que mes notes sont restées à l'appartement. Ce constat me décourage, car la densité des échanges produit un effet de trouble, comme si je n'avais rien gardé de cette journée. Ce n'est évidemment pas le cas. Il y a un effet de fatigue qui fait que les notes donnent un appui, constituent une vraie béquille pour restituer la journée le soir même. Par ailleurs, l'apport de cette journée est réel dans l'évolution de mes questionnements généraux et plus spécifiquement à ceux liés à cette semaine.

Hier, nous faisons lieux à plusieurs endroits, nous faisons milieu également, un milieu qui se décentre, se décale, s'éprouve, de même que le lieu. Le matin, la discussion « prend » dans l’appartement, nous sommes 13 ou peut-être 14 au plus fort. J'introduis, toujours un peu en vrac, il faudra sûrement que j’apprenne à préparer un peu ces temps introductifs ne serait-ce que pour celles et ceux qui participent sans trop savoir où illes sont. Pascal fait cela très bien avec ARTEC, aussi parce qu'il maîtrise très bien les enjeux institutionnels et qu'il parvient à circonscrire les enjeux autour de cela. Puis, il y a ce masque, nous le portons toutes et tous, mais là encore petit à petit les règles ne tiennent pas. Je ne sais qu'en penser, mais je sens que cela gêne des personnes pour qui cette question est sensible.

Ce moment du matin démarre de lui-même et j'en suis ravi. Maxime prend la parole, mais interpelle aussi, les rebonds se font. Je réalise une nouvelle carte mentale brouillonne au crayon à papier. Au dos de la carte, j'essaye de faire évoluer ma réflexion. Aleks participe grandement à cela depuis la pertinence de ses interventions. Je pense à cette question du droit commun [Ajout : des financements de droit commun], aux cultures, à celle des QPV et à la manière dont cela produit des étrangers à cette culture. Je l'énonce comme tel, Claire ne semble pas d'accord sur le fait que je nous considère, hors Pouquoi Pas !?, comme des étrangers à cette culture avant d'arriver à Mermoz avec l'hypothèse que cela participe de la mise à distance du projet vis-à-vis des habitué·e·s, des acteur·rice·s et des structures du quartier. C'est notamment la question des personnes relais qui m'amène sur ce terrain, l'idée de ne pas s'arrêter à ces personnes pour faire la médiation autour de notre action et de ce qu'elle renvoie positivement ou négativement aux habitué·e·s.

Faire lieu est alors associé le matin à faire théâtre, depuis les propos de Maxime qui prend la main pour présenter le projet en appuyant fortement sur cette dimension, aussi du fait qu'elle a pris une autre ampleur sur ce Reflet avec “ce retour aux fondamentaux”25.Tenir les dispositifs que nous engageons avec UFR, sur un temps qui dépasserait celui du « projet », fait écho aux questions des formats permanents, de la transmission, les manières dont nous nous accordons sur les temporalités, mais aussi les registres de visibilité. Bien sûr, cette question du dépassement du projet s'accroche à l'idée de lieu : l'atelier permanent, le cube et cela ressort aussi depuis cette idée de communication. Communiquer sur un projet, quitter plus largement l'enjeu institutionnel de communication qui produit aussi, pour ne pas dire souvent, des coquilles vides. Arriver à se parler, à construire nos lexiques communs, à choisir nos mots ensemble en attention aux “construits que nous colportons nous-mêmes”26, mais aussi la manière dont on veut être visible ou s'autoriser à être en souterrain, en contre-bande, pour reprendre ces mots d'Aleks qui me sont chers. Je pense immédiatement au garage, à son ouverture permanente à ce qu'il communique du projet à celles et ceux qui en font l'usage où qui entrevoit cette réalité. Comment le garage parle d'Un Futur Retrouvé ?

À la pause déjeuner, Louis me parle d'Haraway et de son dernier livre : Vivre avec le trouble. Il évoque cette notion de lieu refuge pour aborder différemment les enjeux liés à l'anthropocène et quitter justement une approche anthropocentrée. Comment penser notre présent depuis cette idée de lieu refuge, de la disparition des lieux refuges pour les espèces qui en ont besoin. Je m'échappe quelques instants de Mermoz et je pense à Jean-Spag, mon homme chien27, et à son mètre carré refuge et mobile qui prendra bientôt place dans l'espace public. À la suite des échanges de la journée, notamment sur l'idée d'équipement collectif et d'équipement démocratique en lien avec le Cube à Saint-Pol-sur-Mer28, je pense aussi aux lieux refuges pour nos expériences démocratiques, des expérimentations qui aujourd'hui doivent avoir lieu pour exister sur le temps long et produire de l’épaisseur, de l'espace-temps.

Le temps de l'après-midi, par les contenus et par la mise en situation, fait lieu et donne à observer ces milieux qui se décalent, se déplacent. Samir nous rejoint au bon moment. Il se présente comme « militant depuis 1983 », chose que je ne l'avais pas beaucoup entendu faire, peut-être par manque d'attention. Là encore, le moment prend de lui-même et les échanges (f)ont lieu ici, sur le bout du mail Narvik. Le récit de Louis Staritzky tombe à point nommé. J'accroche sur cette idée de processus et d'inversement du processus : construction par le bas, pas de préfiguration, pas de projet qui anticipe trop lourdement sur le devenir du lieu. Le lieu existe d'abord depuis le processus qui lui donne à exister. Le lieu existe donc depuis une multiplicité de pratiques, d'usages et donc de devenirs. Il y a aussi l'idée que ce devenir participe d'une école mutuelle, d'un co-apprentissage qui permet de s'adosser au lieu notamment pour “faire face à l'ANRU” (Agence Nationale de Rénovation Urbaine).

Maxime note que la grosse machine ANRU n’homogénéise pas nécessairement les manières d'opérer sur les territoires et que tout cela répond à des spécificités, des antériorités et des dynamiques et contextes locaux. Le fait qu'on laisse se déliter le quartier à Saint-Pol pour justifier ensuite une démolition de « l'enclave » que Louis préfère appeler un cœur.

Là, j'aurais besoin réellement de mes notes pour revenir sur les enjeux que soulève l'intervention d'Union Urbaine (UU).

[Ajout du 22/09/20 depuis mes notes, lors de la relecture et correction : Il manque ici la restitution du soir, dans le garage, ainsi que la prise de parole d'UU sur le mail Narvik. Cette restitution est un moment fort de la journée. Nous disposons les chaises et cubes en dehors du garage qui est laissé vide, en dehors du vidéo projecteur et de l'ordinateur, tous les deux posés sur un cube à l’intérieur. Le premier film raconte Nilton, habitant de Montpellier et qui vit au rythme de sa cuisine, de sa musique et des habitué·e·s de sa rue29. Le second est un film réalisé en milieu carcéral avec une forte dimension pédagogique. Les détenus ont réalisé le film : choix des questions, des lieux et ont participé au montage avec l’équipe d'Union Urbaine. Nous terminons par la projection d'un film que nous avons réalisé lors du premier Reflet.

La présentation d'Union Urbaine sur le mail puis les docus visionnés permettent de penser la façon dont ils mettent au travail des situations. Cela me concerne et concerne notre action UFR- Recherche en quartiers populaires, puisque nous travaillons avec Union Urbaine. Arsène développera notamment les enjeux politiques liés à l'action d'UU, à savoir : le fait de ne pas se satisfaire de la narration qui est faite des enjeux urbains, sociaux ; des processus d’effacement des histoires. D'où l'idée qui leur est chère, celle de faire patrimoine. Arsène revient dessus en évoquant le patrimoine comme un objet de mémoire valorisant, et le travail de patrimonialisation qui vise à « faire exister quelque chose dans le temps ». Il y a aussi un enjeu micro-politique dans le processus de réalisation : qu'est-ce qu'on donne à voir, comment filmer vient travailler à l'endroit de conflictualités de l'action et comment on les traduits par le film.

J'entrevois une singularité aussi entre le travail de docu-vidéo que nous avons réalisé en amateur30 lors des Reflets31, la création d'un objet ayant dès sa création vocation à faire archive et non pas patrimoine, mais aussi avec des dimensions esthétique et poétique que je retrouve surtout dans les plans de Louis et notre souhait de travailler sur le pas de la porte avec les cartes poétiques. Arsène et Victor évoquent la volonté, au travers de leur travail, d'opérer « des changements tangibles sur le champ social » et justement de ne pas être dans la production d'objets esthétiques. Le média est un « moyen d'investir le champ social ». Ces mots que je retrouve plutôt du côté d'Arsène me parlent beaucoup d'intermédiation.]

Vendredi 18 septembre 2020 (écrit le 19 à 00h51)

Je dois nécessairement faire l'impasse sur des choses qui se sont passées aujourd'hui. L'heure, l'intensité, la densité et bien sûr encore un peu plus la fatigue. Je devrais aussi m'astreindre à une restitution depuis mes notes sous forme de cartographies, composées tout au long de la semaine et que j'ai hésité, jusqu'au dernier moment, à présenter de manière théâtrale lors de la représentation qui a clôturé le Reflet. La résidence Artec continue jusqu'à demain.

Je retiens finalement trois moments d'“entre” dans cette journée, souvent des apartés, des moments où je n'ai pas de stylo pour prendre des notes, parce qu'en train de profiter d'un temps dehors qui contrebalance avec les longs temps d’échanges qui se sont installés ces jours-ci. Cela peut aussi être un temps de déjeuner, ou comme à l'instant où Régis et moi entamons une discussion très intéressante qui débouche sur les notions d'évaluation, de partenariat, d'intermédiation et d'intermédiateur. D’ailleurs, en écrivant, je pense à cette phrase de Régis aujourd'hui, lorsqu'il se présente et présente sa recherche : co-construire le problème public avec les premiers concernés. C'est finalement la question du jour, qui se décline au travers de ces différents moments “entre”. Comment construire le problème public du “lieu” avec les premier·re·s concerné·es ?

L'interrogation que je m'adresse en pensant l'adresser à Louis, lors de notre déambulation de l'après-midi, pourrait être alors traduite ainsi au regard de cet éclairage : Qui sont les premiers concernés ? Ceux qui demandent, celles et ceux qui peuvent profiter de l'aubaine ? Ou celle et ceux qui restent silencieux·euses, mais que nous croisons régulièrement et autour de ce que nous faisons, en curiosité, en participation timide. Je pense à la famille qui était présente hier soir lors de la projection. Cette question est en fait multiple et elle n'appelle pas de réponse immédiate. Elle se décline comme cela pour le moment : Comment entre-t-on ? Avec qui ? Pour faire quoi ? Est-ce qu'on y va avec notre intention ou avec celles des autres ? Comment travailler une intention commune ?

C'est là que Louis intervient avec cette idée d'attention aux premières intentions qui semble pour lui fondamentale. Pour ma part, la thématique du lieu a émergé très rapidement à notre arrivée à Mermoz (2018) et ce autour des deux lieux entre lesquels nous nous trouvons et discutons avec Louis32 : la chaufferie et le centre social avec la préoccupation à ce moment-là du conseil citoyen de le faire rester debout pour en faire un espace associatif. L'intention de faire lieu était de travailler avec les habitant·e·s à occuper cet espace en s’organisant et occupant d’autres espaces d’ici là. Cela, afin d'éprouver une expérience d'occupation, de fabriquer le laboratoire qui permettra d’entrer dans le centre social et d’éviter un effet de dépossession via des Appels à Manifestations d’Intérêts (AMI) par exemple. Louis m'explique que le lieu est processus. Il le dit simplement, ce qui dans sa bouche fait évidence le devient pour moi aussi et, dès lors qu'il y a évidence, il y a une invitation à se mettre au travail pour la dépasser. Faire lieu, participe de cette évidence, ne pas s'arrêter au lieu, mais envisager le lieu comme une construction permanente. Le « faire » de « faire lieu » devient caduc l'espace d'un instant, depuis mon interprétation de l'approche de Louis, au sens où le lieu fait et défait autant qu'il se fait et se défait. Je « réhabilite » finalement le « faire » dans ma réflexion. Qu'est-ce que cela met au travail d'envisager l'idée de faire lieu comme celle de faire processus ?

C'est ce que nous vivons aussi aujourd'hui. Ces deux jours ARTEC au sein de notre résidence UFR ont permis de vivre et faire vivre l’expérience et les tensions inhérentes, également de pouvoir s'appuyer sur les expériences en présence tout en partageant la nôtre. Nous étions donc en décalage, là, à faire recherche devant le garage, sur les cubes et en même temps nous l'avons fait comme nous faisons théâtre, en porosité. Par ailleurs, faire visiter le quartier, pouvoir expliciter certains enjeux modestement, s'y sentir bien avec des nouveaux venus, produit un effet joyeux chez moi, un effet de familiarité qui participe à la construction d'un lieu. Inversement, exalter ce moment, c'est se soustraire à des formes de rejets de notre pratique et de ce que nous renvoyons aussi en étant là. Je crois que Gabrielle Boulanger éprouve cette tension assez fortement, mais elle se lance, participe, elle y va malgré des réserves qu’elle partagera sur la situation que nous faisons émerger avec les cubes et les chaises.

Pour répondre à cela, j'interpelle Claire qui nous donne des éléments intéressants, qui m'évoque un peu de cette question du dedans/dehors, mais aussi du dessus/dessous. Comment le fait de créer un espace protège les personnes à l'extérieur, comment cela ne les piège pas ? Comment le fait de porter des paroles intimes nécessite une écoute et peut-être un espace confortable en proximité. Je n'ai pas le temps de me saisir des retours de Gabrielle, mais il n'en demeure pas moins que ses remarques sont justes notamment sur la manière dont nous obstruons le passage et particulièrement pour les mères avec poussette à une heure de sortie d’école.

Le troisième moment est un moment avec Régis où ce dernier m'évoque le livre phare de sa thèse : Agir dans un monde incertain. En écrivant, je me rends compte que cette référence joue avec la citation d'Edward Glissant qui m'accompagne sur le trajet qui me permet de récupérer ma carte grise33 : Agis dans ton lieu, pense avec le monde. Détail et totalité. C'est peut-être cela qui a inspiré ma petite improvisation. Régis me partage, depuis cette lecture, ses réflexions sur le cube, celui qui a brûlé34, la manière dont les cubes renseignent, depuis les traces que les différents usages ont laissées, et d'une certaine manière permettent d’évaluer les situations. Il m'évoque le rapport entre le geste, ou l'outil, et la trace qu'il a permis d'inscrire. Nous revenons sur la recherche de Martine Bodineau35 et aux questions des représentations du monde, notamment au travers de la saleté.

Comment évalue-t-on notre action depuis ces cubes ?Là, je vois la manière encore de penser la question du problème public avec les premiers concernés. Ces cubes sont les moyens, peut-être, d'associer des personnes qui ne seront probablement jamais à la table de notre réflexion. Cela est peut-être soumis à la condition de pouvoir continuer à faire exister les cubes. Régis vient aussi sur les questions de partenariat, la manière dont des entités tierces sont créées pour penser et élaborer de “vrais” partenariats. Ces réflexions, qu’il me dit inspirées par les travaux de Fabrice Dhume, pourraient être une très belle piste pour faire avancer les moments Traces Critiques36.

Samedi 19 septembre 2020 (Ecrit le dimanche à 8h30)

Mots-Clefs : Entretien -Intention – Intentionnalité – Attention – Improvisation – ReuchKatPop – Larmes – ARTEC

La journée d'hier commence d'elle-même, suite à une discussion entre Pascal et Régis autour de l'entretien et de son usage en sociologie. Je n'écoute que d'une oreille au début, car je suis en train de m'affairer autour du café et autres petits préparatifs du petit déjeuner. Cette question de l'entretien se déplace vers la question des intentions, des intentions de recherche, mais aussi de faire recherche sans intention de recherche comme l'évoque Pascal. À l'entendre, mais aussi en écoutant Gabrielle, qui vient aussi parler d'intentions artistiques, esthétiques et poétiques honnêtes. Elle vient de manière très juste, à mon sens, sur l'aspect pratique de l'artistique sans l'instrumentaliser, mais en évoquant la manière dont il permet de produire des situations auxquelles on appartient. Je pense tout de suite au Reflet sur le travail/l’emploi. Lorsque je prends le livre de poème de Cécile. Je n'ai plus d'intention de recherche, j'essaye d'être à la situation, notamment parce que l'entretien37 ne m'intéresse pas dans ma manière de penser la sociologie à cet endroit. J'évoque aussi dans cette relation à l'entretien et aux intentions l'entretien avec V, actuel maire d’une commune voisine dans le cadre de Mémento (l'entretien rêvé pour une sociologie hégémonique). J'aurais pu parler de l'entretien avec E, ou encore celui avec C38. En relisant, je pense aussi à ce que Gabrielle a proposé la veille, à savoir de croiser des personnes dans l'espace public et leur demander de dessiner des lieux qui leur sont chers sur sa peau (bras et dos). Cette proposition, elles l'ont ensuite interprétée dans le tumulte de la restitution, avec Léonore, en reprenant l'exercice de théâtre (paroles simultanées) qui fait désormais partie de notre boîte à outils.

Quand je suis avec mon livre de poésie, je suis à la situation et la situation fait processus, les processus prennent formes depuis des situations. C'est ce que je crois comprendre de l'idée que développe Pascal, pour déplacer la question de l'intention de recherche vers celle de l’intentionnalité de recherche. Je comprends peut-être un peu mieux cette idée au travers d'une traduction de Nicolas, qui évoque cette idée d’intentionnalité comme la réaction d'autres personnes à l'intention de départ. En écrivant, je repense à cette rencontre avec Elliot et Mounir. Lorsque je leur tends le flyer pour venir au spectacle lors du Reflet 4 sur l’emploi, l'intention est celle de faire venir des habitué·e·s de Mermoz au spectacle, et de proposer cela à des personnes vers qui j'aurais tendance à me détourner39. Il n'y pas d'intention de recherche au sens : je fais expressément cela pour ma thèse ou ma recherche. Pourtant, ce moment en produit un autre, accélère la rencontre avec Claire une semaine après devant le garage (qui aurait sûrement eu lieu plus tard) et puis s'ensuit une relation entre elleux qui peut-être produira une co-fabrication de quelque chose. Il y a au travers de cela l'idée de film et d'image de Nicolas notamment sur la question de l'honnêteté. Dire je suis sociologue produit une image, des représentations, qui peuvent être contre-productives sur le moment. Faire ensuite la sociologie qu'on entend vouloir pratiquer raconte une histoire, un scénario, fabrique un film de l'honnêteté, derrière l'intention de départ, qui est de ne pas se cacher parce que l'on n'assume pas ce que l'on représente. Louis en parle très bien dans son texte40.

Autour d'“Intention”, d'autres mots : tension, que j'ajoute après attention. Être à l'écoute pour improviser, être à l'écoute et s’accompagner. Nicolas nous expose ainsi cette idée de l'improvisation qui nécessite une attention aux sons, aux mouvements sonores, mais aussi aux mouvements et sons du corps, comment l'intention devient intentionnalité c'est-à-dire comment lorsque je joue ce son, ce son traduit une intention issue d'une attention — depuis l'enfant qui pleure dans la poussette plutôt que la chaise qui grince parce que c'est à cela que j'ai prêté attention— et que le ou la musicienne qui s'empare de ce son, transforme l'intention dans une forme d’intentionnalité, une interprétation de ce que l'autre a voulu faire et une action qui découle de cette interprétation.

Ces moments d'intentionnalité “peuvent rater, mais ne sont pas intrusifs”41. Cette phrase de Nicolas permet de venir sur l'image du “paillasson”, que j'imagine être à la fois une image-son ou jeu de mots de Gabrielle autour du son, à la fois une manière d'introduire l'idée de seuil. À ce titre, elle revient sur le moment de restitution de la veille, à la fois une sorte de malaise et à la fois une sorte d'œuvre qui ne se maîtrise pas, avec des effets d'échos entre ce qui peut-être scandé par l'aplomb d'une comédienne ou comédien et repris en écho par le groupe à droite qui se sent interpellé par la forme, qui s'en fout, ou qui ne s'en fout qu'à moitié. Cette idée de seuil permet aussi de penser l'espace. Nous discutions la veille de la façon dont l'installation de l'espace-théâtre peut faire violence. Les poussettes doivent aller sur la route, l'espace clos et non accueillant, quand Claire évoque aussi l'idée de protection (cf. journal du 18/09). Je note aussi que l'espace a fabriqué un chemin, entre la bordure de l'arroseur arrosé et les cubes qui suivent cette bordure en arc de cercle, qu'à deux ou trois reprises des personnes l'empruntent en trottinette ou à pied, en ignorant ce qui s'y passe ou encore en nous saluant.

J'aime l'idée de seuil, voir comment cela pourrait se redessiner dans ce que nous mettons en place. Voir comment le seuil accueille, mais aussi comment il est franchi. Nous l'avions questionné depuis les paliers sur lesquels nous avions collecté des témoignages pour le film42, et il y a le seuil du garage.

La matinée s'arrête sur une discussion autour de nos larmes, celles qui nous montent aux yeux dans des situations comme celles-ci. Des larmes d'intensité de mots, de regards, de sensibilités qui se communiquent. Quand je vois Régis ému par la situation qu'il décrit, je suis ému immédiatement, nous nous parlons sans mot et là, quand j'écris, cette situation dans le présent journal, les larmes reviennent avec les frissons, la discussion continue. Les larmes peuvent être des langages qui se jettent dans les rivières de jouissance qu'elles font jaillir, pour jouer avec les images de Gabrielle. La matinée d'hier à quelque chose de jouissant. Pour ma part, je me sens bien, je refais le fil de ces jours, la manière dont nous sommes venus faire université ici dans l'appartement, non sans contradictions, mais plutôt en les acceptant et en essayant de jouer avec et ce jusqu'à ces émotions collectives dans lesquelles se mélangent pour moi aussi doutes, joies, frustrations, inquiétudes, perspectives et qui fabriquent quelque chose de fondamentalement “eautre”.

L'après-midi est plus courte et la parole est donnée d'abord à Pascal pour qu'il nous mette à niveau sur ce qu'ARTEC rend possible. L'occasion de questionner le lexique que cette construction institutionnelle a installé. Nicolas met en avant que je parle souvent d'ARTEC pour désigner notre action : faire recherche en quartiers populaires, et que pour lui cela pose un problème. C'est très juste, je crois que c'est par paresse, et je mesure ici à quel point cette paresse produit des absurdités. Je relis cela aux propos d’Aleks qui nous invitait le jeudi à être très attentif·ve·s aux réalités que l'on colporte avec les mots que nous utilisons, une manière subtile pour ille de venir penser nos contradictions et nos conflictualités. C'est cette « attention à » aussi que m'évoque la proposition d'Arsène, sur un autre registre, celui du média. Comment le film, le documentaire, comme processus viennent travailler ces questions d'écologie de l'attention ? Attention et entretien sont alors ici pleinement intriqués, comment nos lexiques travaillent l'attention que l'on porte à, et travaillent ainsi une forme d'honnêteté ? Comment en destituant l'entretien on lui redonne toute sa valeur lorsqu'on a soudainement besoin de s'entre-tenir ? J'aime aussi l'idée que les mots sont les seuils de nos rencontres, la capacité à la fois de s'accueillir mutuellement, mais aussi de franchir le seuil. Je m'égards, et j'oublie d'évoquer aussi le changement de nom de mon dossier ARTEC, ReuchKatPop' nouveau nom d'un groupe d'improvisation collective de recherches en quartiers populaires…

1Lisa, Mélanie, Cécile, Claire, Maxime ou encore Léonore sont les membres de l’action Un Futur Retrouvé. Illes sont anonymisé·e·s malgré le fait que ce journal leur soit partagé lors des semaines de Reflet. Je n’ai pas pour autant l’assurance qu’une lecture complète est faite de ce dernier. Par mesure de précaution, j’ai préféré anonymiser les ami·e·s du projet, de même que les habitué·es de Mermoz rencontré·es lors de cette semaine. Seuls les participant·e·s acteur·rice·s des résidences recherche en quartiers populaires ne sont pas anonymisé·es.

2Un Reflet est une semaine de travail qui regroupe la compagnie Augustine Turpaux, le collectif d’architectes Pourquoi Pas !? et moi-même autour d’une thématique spécifique. Nos pratiques s’hybrident pour donner lieu à une forme qui se déploie le plus souvent en espace public dans le quartier ou en pied d’immeuble, aux alentours de l’appartement que nous occupons et dans le garage qui se transforme en cinéma, en lieu de représentation, de discussions et de réunions, ou encore en atelier à certaines occasions.

3Les thématiques sont souvent choisies collectivement, bien que majoritairement proposées jusqu’ici par la compagnie Augustine Turpaux. Elles font l’objet de longues discussions afin de voir comment chacun·e des entités peut se l’approprier tout en fabricant nos croisements, les liens qui se tissent depuis la thématique et entre nos pratiques. J’avais proposé, au début de notre action et à l’occasion d’un travail prospectif sur les thématiques des futurs Reflets, la seule thématique du lieu, qui me semblait être un enjeu aux facettes multiples rencontré au sein du quartier. Principalement du fait de l’importance de la « Chaufferie » et de l’actualité liée au centre social. La chaufferie, comme lieu emblématique et qui symbolise aussi des problématiques rencontrées dans le quartier. Le centre social, qui jouxte la chaufferie, et qui est au cœur de la tourmente entre le conseil citoyen qui travaille contre sa destruction prévue par la maîtrise d’ouvrage (celleux qui ont l’argent et qui pilote) de la rénovation urbaine ici, la métropole du Grand-Lyon.

4Chaque fois qu’un mot ne convenait pas, un « Refusé » nous était lancé sèchement par Cécile.

5Pour ce Reflet, nous sommes parti·es sur l’idée d’une enquête à la fois individuelle et collective. Chacun·e pouvait renseigner la thématique dont ille le souhaitait. Personnellement, j’avais choisi de partir sur un document vidéo sur les garages en pieds d’immeuble à Mermoz (Sud). Ce documentaire n’a pas abouti, pris par la dynamique collective en cours visant à proposer de courtes improvisations théâtrales le soir même et la perspective des journées « Faire recherche en quartiers populaires » en fin de semaine.

6Historiquement, urbanistiquement, socialement et politiquement, le quartier est divisé en deux, Mermoz sud et Mermoz nord. La rénovation urbaine travaille à l’avènement d’un « Grand Mermoz » avec la destruction de l’auto-pont, au début des années 2000, la rénovation de Mermoz Nord « achevée » en 2016, et celle du Sud débutée en 2018. Dans les faits, et depuis mon expérience du Sud du quartier, des échanges que j’ai eus, il semble y avoir autant de Mermoz que de récits des gens qui l’habitent. Pour reprendre les termes d’une employée du bailleur social, propriétaire de l’ensemble des logements du sud, « il y a un Mermoz par quartier ou par rue ». En témoigne la façon dont les immeubles sont nommés depuis le nom de leur rue (la barre Froment, la barre Narvik…) loin des appellations retenues par certains aménageurs de passage en réunion publique par exemple (bâtiment I, O) et du fantasme d’un Grand Mermoz.

7Les premiers Reflets se sont organisés, entre autres, autour de cubes en bois, construits au pied de l’immeuble et devant servir à la fois d’assises pour un public et de scénographie pour le jeu. Leur utilisation permet une installation rapide et mobile d’un espace de théâtre, voire d’un théâtre, en espace public. Par ailleurs la manière de les assembler permet d’imager des architectures historiques dans les quartiers populaires (les fameuses barres) ou plus modernes, en étage avec des balcons, plus ou moins colorés et végétalisés et très souvent, pour ne pas dire systématiquement, résidentialisés.

8Les marches font références au dispositif théâtral que j’ai rejoint lorsque j’ai rencontré la compagnie Augustine Turpaux en 2015. Pour en savoir plus : https://cieaugustineturpaux.com/peurs-sociales-et-intimes/

9Sidoroff, Nicolas. (2018). Projet de recherche doctorale. Explorer des lisières d’activités, vers une microsociologie des pratiques (musicales). Agencements n°2, pp. 248-274.

10À Mermoz, le centre social (au sud) et la MJC (au nord) devaient se retrouver dans un seul et unique pôle socio-culturel. Il est difficile de savoir aujourd’hui si ce projet est toujours d’actualité.

12J’utilise cette expression intuitivement depuis ce qu’elle génère chez moi. Je la tiens d’une première résidence « Recherche en quartiers populaires » à Saint-Denis et depuis le travail de Louis Staritzky qui, inspiré par Fernand Déligny, nous a proposé un travail cartographiques de nos tentatives.

13La veille, Maxime a réalisé une saynète sur les bulles, interprétée dans la rue de l’appartement que nous occupons.

14La presqu’île se dessine entre Saône et Rhône, elle est parcourue par une longue chaîne de magasins, centres commerciaux, fast food, autour desquels subsistent des appartements dans lesquels on peut habiter, si l’on tolère de vivre dans un centre commercial à ciel ouvert ou au moyen de loyers exorbitants. Elle est traversée de bout en bout par deux lignes de métro dont la ligne D, ligne automatisée qui permet de rejoindre Mermoz en six arrêts et moins de 10 minutes.

15Réunions de suivi avec les partenaire et financeurs de l’action Un Futur Retrouvé. Le « co-tech » réunissait initialement, en plus de l’équipe artistique, les trois financeurs (Ville de Lyon, Commissariat à l’égalité des territoire et Grand-Lyon Habitat) ainsi que des structures ou entités dites partenaires telles que le Centre social, la MJC ou encore la mairie d’arrondissement et le conseil citoyen.

16Les inter-barres sont des espaces importants à Mermoz. On en entend beaucoup parler et on les remarque assez bien lorsqu’on découvre le quartier. Elles vivent et grouillent autant qu’elles peuvent être calmes en semaine. Aux allures d’espace public, elles sont en fait la propriété du bailleur social. Je n’ai jamais vraiment pris le temps de m’y arrêter, en dehors de déambulations, notamment celles autour des jardins partagées qui y prennent place, et qui donnent à ces inter-barres un aspect luxuriant au printemps-été.

17Le jeudi, il est prévu dans le cadre de la résidence « faire recherche en quartiers populaires » que nous partagions un moment avec d’autres acteur·rice·s du quartier.

18Entendu comme « la capacité des expériences singulières à se confronter les unes aux autres, à se mettre démocratiquement en risque les unes en regard des autres » Pascal Nicolas-Le Strat, Agir dans une perspective d’intermédiation. Cette citation est issue d’un document à destination des étudiant·e·s des Masters 2 « Intermédiation et Développement social » et « Politique de la Ville et Développement Territorial » ainsi que du Diplôme d’État en Ingénierie Sociale (DEIS).

19Marchand, Alain. (2002). L’intermédiation sociale, complexité et enjeux. Journée du Diplôme d’Études Supérieures Spécialisées (DESS). Université Paul Valéry, Montpellier 3. Texte non-publié.

20Le centre social a fait l’objet dans les années 2000 d’une rénovation importante. Le chiffre d’un million cinq cent mille euros est régulièrement évoqué, notamment pour contester sa destruction prévue initialement dans le cadre du programme de rénovation du quartier.

21Il s’agit là d’une tentative de partage de notre action sur une palissade bloquant l’accès à un espace généré par la démolition de la barre Morel en 2019. Une « frise-sismique » y a été dessinée et des collages avaient était réalisés, s’abîmant avec le temps et donnant à cette frise un air d’abandon. Cet effet a été accentué par l’installation d’une aire dévolue au chantier empêchant l’accès physique et visuel à la palissade et pour nous de continuer à la faire évoluer.

22Cette préoccupation est issue de l’analyse partagée d’une fonctionnaire de la Ville de Lyon qui travaille dans ce sens, certainement à contre-courant des logiques qui dominent dans le champ des politiques publiques, y compris dans sa propre institution.

23L’arroseur arrosé, aussi appelé la fontaine, est une œuvre d’art en espace public. « L'arroseur arrosé est une anamorphose géante que l'artiste peintre Claude Gazier a réalisé en 1997. Cette sculpture se situe à l'angle des rues de Narvik et Gaston Cotte dans le quartier Mermoz sud dans le 8ème arrondissement de Lyon. » http://clindevie.canalblog.com/archives/2010/02/11/16878905.html

24Nos discussions autour de notre pratique dans le quartier et l’avis tranché qu’il a exprimé à notre égard depuis la représentation qu’il se faisait de nous, sans nous avoir vu, font de sa présence une marque de considération pour nous, ainsi que pour nos échanges, sans pour autant vouloir dire que « nous sommes validés ».

25À la relecture, cette expression de retour aux fondamentaux me semble faire référence à la fois à la pratique du théâtre que j’ai découverte en rencontrant la compagnie Augustine Turpaux (2015), à la fois à l’idée de départ de notre réponse à l’appel à projet, à savoir de pratiquer un théâtre quotidiennement pendant nos semaines de travail.

26Les guillemets signalent une presque citation d’une intervention d’Aleks Dupraz durant cette première matinée de travail dans le cadre de la résidence « Faire recherche en quartiers populaires ».

27Jean-Spag est un homme chien, ou cynocéphale, né de frontières et de destinations, il a trouvé refuge dans mon expérience de recherche à moins qu’il soit inversement le refuge de mon expérience de recherche. Il est devenu un personnage phare de la recherche que j’ai engagée, il fait recherche.

28Je fais ici référence aux interventions le jours même de Louis Staritzky et Pascal Nicolas-Le Strat ayant présenté le Cube, expérience de lieu dans le cadre de l’action EN RUE.

29Le film est disponible sur le site d’Union Urbaine : https://unionurbaine.com/nilton-de-bahia-une-vie-au-rythme-de-jah/

30Ce terme ne me convient pas, o alors il faudrait le développer. Le changer me pose cependant problème, car il vient dire quelque chose malgré tout. Je l’ai probablement utilisé par facilité ou pour ne pas surestimer notre pratique. Etant singulière et collective elle questionne cette lecture binaire amateur-professionnelle. La réalisation même du document ayant mis au travail l’ensemble de nos professionalités, y compris à des endroits où ces dernières ne sont pas d’emblée compétentes.

31Deux docu-vidéos ont été réalisés et diffusés dans les ciné-garage en fin de Reflet. Un premier document sur la thématique des cycles (Reflet 2 et 3) et un second sur l’emploi (Reflet 4).

32À ce moment précis nous sommes physiquement entre les deux bâtiments, assis sur les marches qui longent le centre social et à quelques mètres de la chaufferie. C’est ici qu’après une visite « guidée » de Mermoz sud et nord nous discutons un moment.

33Entre midi et deux je quitte l’appartement furtivement pour enfin récupérer ce document auprès d’une personne m’ayant cédée un véhicule sans la carte grise. J’en profite pour méditer depuis cette citation d’E. Glissant, méditation qui se transforme, à mesure que je pédale, en proposition pour la représentation du soir.

34Les cubes ont étaient laissés en libre accès et le sont toujours. Ils ont fait l’objet d’utilisations régulières par des habitants. Certaines traces pourraient d’abord être envisagées comme des dégradations, mais proposent aussi un autre récit dès lors qu’on accepte de décaler notre regard. C’est la proposition faite par Régis Garcia suite à une réflexion issue de notre première résidence de recherche à Saint-Denis.

35Un article à ce sujet paraîtra dans le numéro 6 de la revue Agencements. Recherches et pratiques sociales en expérimentation.

36Traces critiques est un séminaire interne à l’équipe Un Futur Retrouvé autour de la question de l’évaluation de notre action et au travail sur nos micro-politiques de groupe.

37Pour ce Reflet, nous devions faire des entretiens sur les questions d’emploi et de travail en lien avec le contexte de rénovation urbaine. Assez peu à l’aise avec la perspectives de ces entretiens et inspiré par les méthodes poétiques de Cécile, je m’étais fixé de partager un moment de poésie en lien avec les échanges. À même l’entretien.

38Ces entretiens sont réalisés dans le cadre de l’action Mémento et d’un travail de pièce radiophonique. Pour moi, qui évacue l’entretien ethnographique ou sociologique de « ma méthodologie » ces entretiens m’ont mis en tension : suis-je en train de réaliser un entretien sociologique ou une captation pour une pièce radiophonique ? L’un et l’autre ne sont pas forcément antinomiques, mais nécessitent des attentions particulières. Pour une pièce radiophonique par exemple, les bruits parasites produits par l’interviewer (moi) se sont avérés très gênants. Ils le sont moins pour une analyse sociologique ou ethnographique « classique » du contenu de l’entretien. Qu’est-ce qui fait finalement matériau de la recherche ? L’entretien ou la pièce ? L’entretien comme situation, comme vécu et perçu peut constituer un matériau. Cependant, l’intention première est bien de réaliser une pièce radiophonique. C’est je crois cette pièce qui fera matériau, non pas comme objet, mais comme processus dont l’entretien, comme pratique et comme situation, fait partie.

39Au moment de distribuer des flyers je suis souvent en proie au doute. Ce jour-là, fasse à mon attitude résignée je m’étais obligé à aller vers les personnes dont je supposais qu’elles ne seraient pas intéressées, d’abord pour être sûr que je ne me cherchais pas d’excuse et peut-être aussi pour lutter contre mes préjugés.

40Staritzky, Louis. (2020). En cheminement vers le cube. Recherche d’itinéraires, itinéraires de recherche. Agencements. Recherches et pratiques sociales en expérimentation. n°5

41Les guillemets indiquent une citation de Nicolas issue de mes prises de notes sur le moment.

42Lors du Reflet 3 nous avions réalisé des entrevues filmées dans l’entrebâillement des portes d’appartement sur les paliers de Mermoz.

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